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fallacieuses chroniques de la vie parisienne
21 novembre 2011

L'impact d'un prénom

En ce moment, je classe des morts.

J'archive des dossiers de parisiens âgés, ou handicapés qui bénéficiaient d'une aide. J'ai donc accès aux photocopies de leurs pièces d'identité, leurs courriers, les certificats médicaux, relevés d'imposition, actes de décès. Ça fait un petit quelque chose de lire l'adresse de son lieu de travail calligraphiée façon début 20e, un timbre édition spéciale Fête des mères soigneusement collé sur cette enveloppe jaunie. Un joli timbre qu'on destine à ses proches et pas à un organisme de la Ville de Paris.

Mais Nephtalie est née en 1922, la case veuve sur le formulaire de Demande est cochée d'une croix résignée. Elle n'a pas eu d'enfants et c'est l'une de ces nièces qui prend en charge la correspondance depuis 2007. Nephtalie est en GIR 2 : un code froid et impersonnel pour signifier qu'elle est complètement dépendante d'un tiers : presque impotente elle ne peut pas vivre seule, alors elle survit avec une aide à domicile, des infirmiers qui passent deux fois par semaine.

Évidemment je ne sais rien de sa vie, de sa personnalité, j'ai juste vu une photo et parcouru quelques lettres où son écriture soignée se fait de plus en plus tremblante. C'est certainement une guerrière, une fille de la Creuse qui a toujours retroussé ses manches pour s'en sortir, le genre de femme peu bavarde qui ne pleure pas, ne se plaint pas. Qui a de nombreuses amies au près desquelles elle joue la matriarches, et Nephtalie en vieillissant n'a pas changé. C'est comme ça que je préfère l'imaginer. Que je préfère imaginer toutes ces Suzanne, Yvette, Geneviève, Rolande, Étoile, Armandine... Bien sûr avec de légères variantes selon leur lieu de naissance -un campement nomade au maroc, Marseille, la Corée- l'année où elles sont venues au monde -1918 : armistice, 1929 : krach boursier- et leur nom de famille, qu'il soit à particule, imprononçable ou au doux parfum d'orient.

Ces femmes aux noms désuets sont pour moi toutes remarquables. Il est inimaginable de penser qu'elles fussent mesquines, collabos, radines, comères (enfin un peu) ou bien mauvaises mères. Leur regard un peu effrayé face à l'objectif du photographe, le sourire franc affichés parfois -à l'époque on pouvait avoir l'air humain sur les photos d'identité- le soin qu'elles mettent à rédiger proprement leurs courriers, avec des formules de politesse d'un autre âge et une certaine délicatesse qui émeut. Beaucoup plus que les lettres typographiées de leurs descendance qui réclament implacablement plus d'indemnités, un placement en maison de retraite.

Mais le pire tout de même, ce sont les lettres annonçant leur décès. Il y a les formules type des maisons de retraite, celles de petits neveux ou cousins éloignés quand le (ou la) bénéficiaire est très âgé, et surtout les époux. Leur "grande douleur", leurs "profonds regrets" de nous apprendre que Jean-Alfred ou Edmée a poussé son dernier soupir à 2 heures du matin le 1er janvier 2010 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. Seul(e) bien sûr. C'est sûrement la pire date pour trépasser : dans l'indifférence générale, entouré(e) d'un personnel soignant aigri et envieux de leurs amis et familles qui fêtent le nouvel an à grand renfort de Champagne et David Guetta.

Je n'ai pas le temps de m'attarder sur les 200 dossiers quotidiens mais parfois, piquée de curiosité je passe de longues minutes à feuilleter respectueusement ces trésors, à noter les prénoms originaux, imaginer les parcours.
A vous

 

Gilette
Désiré né en 1910
Visitacion née en 1926
Merderic né en 1941
Hudel né en 1914
Sainte-Yvonne née en 1918
Elvire née en 1917
Khoukha née en 1947
Vania née en 1920
Palmyre
Reine-Clotilde
Azée née en 1926
Gélasia née en 1921
Femina
Sultane
Encarnation née en 1912

 

Iphone
Comme un aveu

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